L'OS ET L'ARÊTE du Bouche à Oreille n°64 Déc 2007

UNIFORMISATION DES GOÛTS

LUBIE DES « ARCHAÏQUES »?

LE VIN: UN SYSTEME APPRIS « PAR CŒUR »

Peut-être avez vous vu le film-documentaire Mondovino* où le guide Parker est mis à mal. Le réalisateur constate et démontre le danger de l’uniformisation des vins. Triste conséquence de la stratégie purement mercantile de standardisation pour « mieux s’adapter au goût des consommateurs », pour vendre encore plus. Vous allez voir: on tire la ficelle, ya tout qui vient. Œnologue-conseil, Michel Rolland aide, oriente, suggère aux domaines « la » façon de faire des vins susceptibles de plaire à son ami le guide Parker, qui pourra ainsi bien noter ce domaine. Les détracteurs de cette mécanique l’appellent « Parkerisation ». Le discutable angle « des affaires » est une chose, mais c’est avant tout la standardisation du goût liée à cette méthode de travail qui nous intéresse.

ASSIETTES CALIBREES, ASSIETTES MAITRISEES.

Bref: quel rapport avec le monde de la tambouille? A titre de comparaison, on pourrait citer l’école de notre multi-étoilé Ducasse, qui exporte son savoir faire de Tokyo à New York, représentant de la gastronomie française et surtout de son marketing rigoureux. A voir l’essaimage de cuisiniers de part le monde sortis de la cuisse de Ducasse, on peut s’amuser à dire qu’à l’instar du vin commercialisé par les méga-vignerons sous la coupe de Parker, la tambouille s’uniformise sous les conseils de Ducasse. Car enfin, puisqu’il y a un « goût Ducasse » comme il y a un « goût Parker » que deviennent les spécificités régionales culinaires qui font le charme des terroirs et des cuisiniers? La richesse n’est-elle pas la diversité? Les assidus de restaurants noteront qu’il est fréquent de trouver dans les maisons de l’écurie Ducasse qui essaiment le territoire… les mêmes plats au même moment! Toujours prompts à caricature et simplification, les journalistes dociles s’exécutent devant l’épaisseur et le sérieux des dossiers de presse reçus. Tandis que les guides soumis à leur propres intérêts financiers opinent du chef pour ne pas passer à côté de leur essentiel: vendre du papier.

MACHINE A FORMATER

On pourra nous reprocher la radicalité du propos, discutable et simplificateur. Sauf que. Savez-vous qu’il existe en France un « Institut Supérieur de Marketing du Goût »**? Il propose le diplôme « MBA spécialisé Food and Wine ». Inscription 8500€. Acceptation des dossiers étudiants à BAC+4 ou 5. L’architecture de l’institut est fondée « sur le modèle efficace de l’Institut Supérieur de Marketing du Luxe, première formation au management du luxe en France ». Sur son site Internet on explique que le but est de « former des professionnels du marketing, de la vente, de la distribution de ces produits en France et à l’étranger, ayant l’enthousiasme et l’esprit de conquête indispensables à la défense et au rayonnement des produits gastronomiques et œnologiques mondiaux. » Dans ce vivier d’énarques de la tambouille, on retrouve ceux qui ont toutes les chances d’appartenir à la même catégorie sociale. Plus grave: nantis de leurs bâtons de pèlerin ils imposeront leurs visions du monde culinaire en ayant ambition (c’est eux qui le disent) de faire « du marketing » avec « des produits ». La diversité va se prendre un grand coup dans le nez. Un formatage implicite du goût, des goûts. Ça vous rappelle rien? Mondovino? Le vin? Parker? Rolland?

CASTING DU LOBBYING

Allons au bout de la ficelle: qui trouve t’on dans le comité directeur de cet Institut? A votre avis? Hop! Revenons sur leur site Internet: « le comité scientifique réunit les expertises de professeurs d’universités, de dirigeants et de cadres d’entreprises françaises et étrangères. Ces derniers définissent les orientations stratégiques de l’Institut, participent à l’évolution des programmes et interviennent régulièrement auprès des étudiants pour leur apporter conseils et ouverture vers le monde professionnel. » Qui?

Paul Dubrule, Président et Cofondateur d’Accor: « Il faut aussi enseigner l’enthousiasme ».

Alain Ducasse Cuisinier-créateur, Fondateur du Groupe Alain Ducasse: « Le savoir-être plus encore que le savoir-faire ».

Bernard Magrez (vu et entendu dans Mondovino), PDG de Bernard Magrez Grands Vignobles Propriétaire du Château Pape Clément: « Un enseignement indispensable à la compétition mondiale »

Et…Michel Rolland Consultant-Œnologue: « La France a tous les atouts à condition de développer la qualité et l’élitisme ».

Et d’autres! L’uniformisation du goût est en marche, ce n’est pas un leurre. La cuisine de restaurant n’est plus le fait d’artistes incompris, de romantiques qui ne savent pas bien compter, car juste faire plaisir était leur credo. C’est devenu une machine de guerre pour alimenter des comptes en banque… et modéliser la notion de goût. Pire: la notion de « bon » goût! Les experts diront toujours que c’est bon pour l’équilibre du budget du commerce extérieur. Et que nous sommes des réactionnaires « incapables de s’adapter ». Question: est-ce vraiment une « lubie des archaïques » d’être suspicieux sur le monde qu’on veut nous faire avaler? Au propre comme au figuré?

Damien D. et Olivier Gros


*MONDOVINO de Jonathan Nossiter (2003)
**http://www.supdegout.com
et « Le système Parker mis à nu » dans « Marianne » du 20 au 26 octobre 2007 (p82)