L'OS ET L'ARÊTE du Bouche à Oreille n°108 Nov 2018

ALLO DOCTEUR?

Tant de propos récemment tenus sur la difficulté des restaurateurs à trouver du personnel… et à le conserver! La presque intégralité de la blogosphère liée de près ou de loin au microcosme de la gamelle s’est fendue d’analyses économiques et sociétales sur le sujet. Dans le même temps, le cuisinier hyperactif Thierry Marx fermait net son école à Marseille qui ambitionnait de « former du personnel en 12 semaines ». Ou quand une belle idée se prend la réalité d’une époque dans le pif. L’occasion d’examiner les raisons de la désaffection pour les métiers de la restauration par ordre d’importance et variables suivant la nature du poste au sein de l’établissement:

  • un salaire faible (il n’est jamais suffisant de toute façon),
  • des heures supplémentaires non rémunérées (« on a toujours fait comme »),
  • des horaires contraignants (pendant les loisirs des autres),
  • un rythme de vie contraignant (vie privée décalée de ses amis),
  • trop de mauvais patrons (management « on a toujours fait comme ça »),
  • travail dur physiquement (t’as qu’à manger des pâtes),
  • décalage entre le poste proposé et la réalité (contrat approximatif voire douteux),
  • la mauvaise image de la profession.

« La mauvaise image de la profession ». Pour la comprendre, faut piger que les restaurateurs eux-mêmes l’ont fabriquée en tapant bien fort dessus pour que ça rentre, et depuis belle lurette. Nombre de« professionnels », puisqu’il faut bien les appeler ainsi, véhiculent l’idée selon laquelle « que tu payes quelqu’un bien ou mal, c’est pareil ». Autant dire, un véritable travail de sape amochant d’un côté les meilleurs employés et de l’autre, les restaurateurs honnêtes qui rémunèrent convenablement leur personnel, au moins selon la législation en vigueur. Si vous cassez une croûte dans un restaurant où serveurs ou cuisiniers sont présents depuis plus de 2 ans, ne cherchez pas: ils y trouvent leur compte! Faut pas s’étonner que les bons fuient un établissement indélicat! Une mauvaise ambiance de travail et un salaire déplorables sont particulièrement stimulants pour « aller voir ailleurs », voire « prendre son affaire » ! Mais un labeur difficile bien rémunéré dans une saine atmosphère est très motivant pour rester chez un patron! Bref. A force de tirer sur l’élastique, il casse! La société a changé, suffit-il de pleurnicher?

De l’autre côté (et comme de nombreux restaurateurs) la jeunesse qui arrive sur le marché du travail est indexée sur le court terme, tout comme les cours de la Bourse et les émissions de télé-réalité en trompe-l’œil sur le métier: faut aller vite, faire le casse du siècle et empocher la mise. Sauf qu’il faut du temps pour que s’accomplissent certaines choses. Aujourd’hui l’info, les transports, le blé et les pommes doivent pousser plus vite, tout s’achète par internet pour ne pas perdre de temps, facebook et tripadvisor soulage votre aigreur quand vous bavez impulsivement en un clic sur la nouille du chef qui était trop dure et la serveuse excédée tendue du string… Trop vite aussi d’apprendre « les bases du métier »en 12 semaines dans les écoles de Thierry Marx! Ou être « chef » en 3 mois à la télé à Top Chef… auquel participa d’ailleurs Thierry Marx! Explique-moi coco pourquoi je bosserais 60 heures par semaine pour 1500€ alors que dans une autre branche pour 1200€ et 35h je vois mes copains et bénéficie d’allocs? Comme dans la restauration collective par exemple! Ou chez Buffalo Grill ou Campanile! Et tu me demandes de faire la plonge et d’éplucher des patates en prenant parfois des baffes pour gagner une misère? Bref! Les jeunes s’adaptent à la société fabriquée par les anciens, en reproduisant souvent les schémas. Etant bien entendu que la progéniture des chefs réputés désireuse de prendre la relève réalise généralement un apprentissage chez des chefs « amis » de leurs parents. Pour eux, tout se passe plutôt bien: rémunération respectée, pas de violence, conditions de chambrées acceptables, horaires « comme les autres » mais en mieux… Ce qui n’est pas le cas des apprentis ou employés non issus du sérail dont les parents n’ont pas « d’amis » dans la restauration. Et qui ont cru aux fariboles du conseiller d’orientation de l’école qui disait « on cherche des jeunes sérieux dans le métier ». Autant de raisons qui expliquent la piteuse « image des restaurateurs ».

Au début des années 2000 quand tout allait (presque) bien dans le monde de la sauce, pointait déjà le nez d’une carence en main d’œuvre qualifiée. C’est ainsi qu’apparaitront des structures spécialisées dans la recherche de personnel pour les CHR dont les restaurateurs: les sociétés de« travail temporaire » et des cabinets de recrutement de personnel qualifié. Seulement voilà: fallait rémunérer ces gens pour le service rendu. Ce sont des choses qui se font. Ça devient compliqué pour l’aubergiste-gratteur qui veut que tout le monde paye… sauf lui! Les cas d’entourloupes avérées s’enchainent: intérimaire compétent « embauché en direct » et cabinet de recrutement non payé par les restaurateurs indélicats. La classe. J’ai personnellement connu 3 professionnels du recrutement qui après 2 ans de combat stopperont net cette activité d’intermédiaire avec les restaurateurs. Plus grand monde ne veut travailler avec les patrons-restaurateurs, salariés ou patrons. Sur un même plan, on sait bien que certains vignerons ne veulent pas (plus) vendre leur production aux restaurateurs. Pourquoi à votre avis? Ce n’est pas de cuisiniers dont la profession a besoin, mais de psychologues.

Olivier Gros