L'OS ET L'ARÊTE du Bouche à Oreille n°94 Juin 2015

L’AMI GÉNANT DES RESTAURANTS

LA FOURCHETTE

Fin du monopole des guides papier. A jouer avec le feu avec des méthodes de travail aléatoires (tests fictifs, copinage décomplexé, « partenariats » avec l’industrie agroalimentaire), la récré est terminée. Sauf pour quelques rigolards utopistes comme le Bouche à Oreille, certes bourré de défauts mais détaché des obligations serviles de la presse industrielle. Internet et les « sites de contributions » écartent désormais les coudes sans partage dans l’esprit du chercheur de restaurants et surtout, du chercheur de prix… à tous prix! « Sites de contributions » qui ont redoutablement intégré les principes du capitalisme le plus efficace. En effet, ils proposent une « sélection de tables avec des avis » déposés par le consommateur de restaurants. Autrement dit, des informaticiens en col blanc font travailler bénévolement le quidam anonyme en lui offrant la possibilité d’un quart d’heure de gloire s’il donne son avis éclairé (ou pas) au monde entier sur un restaurant testé (ou pas). Voilà un « transfert de charges » parfait car optimisé, comme dit mon comptable quant il me téléphone des Iles Caïmans.

Quels sont les sites principaux du marché? Vu que ça sent sérieusement le sapin pour Linternaute et que Cityvox a disparu des écrans, il reste notamment La Fourchette, site de réservation et d’avis de restaurants récemment racheté par le géant américain… Tripadvisor, qui du coup s’est construit un monopole de fait dans le domaine des « avis en ligne »! Les gros sont rachetés par des plus gros! C’est le marché! Pour info et dans un registre pas si éloigné, on apprend que le fournisseur en produits pour restaurant Brake vient de racheter Davigel (Nestlé depuis 1999). Tandis qu’un boulanger industriel suisse (Arysta) a racheté Picard Surgelés en avril 2015! Quand je vous dis que ça bouge! Je sais pas vous mais moi, ça me fout un sacré tournis!

Mais revenons à « La Fourchette ». Les restaurateurs qui s’y frottent se retrouvent vite coincés dans la collaboration! En effet, grâce à sa visibilité le site de réservation « La Fourchette » amène des tables aux établissements moyennant une remise au client acheteur du site allant de zéro à 30% et plus! Auxquels il faut ajouter une commission reversée à La Fourchette pour chaque client amené, entre 1€ et 2€! La vie commerciale se réduisant généralement à un rapport de force entre les parties abusivement dénommées « partenaires », les restaurateurs travaillent avec joie avec leur nouvel ami bienfaiteur « La Fourchette » qui leur devient vite indispensable, surtout en milieu urbain où ils bénéficient de sérieuses retombées (en volume) de clientèle. Avec joie… jusqu’au bilan de fin d’année: l’heure des comptes.

Pour conserver ses marges afin de payer son personnel, l’Urssaf, son loyer, ses crédits, son RSI et tout le tintouin, le restaurateur responsable n’a pas d’autre choix que d’augmenter ses tarifs de base pour intégrer la commission de son nouvel ami un peu gênant, « La Fourchette »! Effet pervers: du coup, le client « normal » surpaye une prestation qui vaut moins, tandis que les acheteurs de prix via « La Fourchette » bénéficient du prix négocié. Ou comment se tirer une balle dans le pied en flinguant la possibilité de se créer une clientèle d’habitués et de fidèles. Son « fond de commerce » comme on disait dans l’temps.

Du coup, faudrait pas que les restaurateurs acoquinés se plaignent de leur encombrant ami « La Fourchette ». Ils pouvaient décliner cette « proposition qu’ils ne pouvaient pas refuser ». En l’acceptant, ils contribuent au quotidien à créer le monstre qui les dévore.

Olivier Gros