L'OS ET L'ARÊTE du Bouche à Oreille n°109 Fév 2019

LE MONDE MERVEILLEUX DE LA COMMUNICATION CULINAIRE

Le rôle pourtant fourbe des blogueurs de restaurants contemporains 2.0 est copieusement entré dans une forme de normalité. Sa tartuferie n’interpelle plus personne! Au « Bouche à Oreille » on les appelle les collabos. Ce qui n’est pas gentil, mais c’est eux qui ont commencé.

On les croit du côté de l’impertinence et de la critique pure alors qu’ils roupillent du côté des attachés de presse. Qui eux n’avancent pas masqués. Avez-vous remarqué que les blogueurs de restaurants se risquent peu à évoquer un plat ou une recette? Bien peu mangent: les saveurs et les gouts sont difficiles à vendre au lecteur. Quand ils tapent dans l’écuelle, c’est essentiellement par courtoisie et sous invitation, à l’œil. Notamment lors des fameux « déjeuners de presse », mascarade auxquelles « le Bouche à Oreille »refuse de participer depuis toujours. Notez que le blogueur est rémunéré des clopinettes pour ce boulot d’astiqueur de toques. Ce qui ne fait pas chérot la vente de son âme au diable pour raconter des sornettes au lecteur… tout en jetant de l’engrais sur le culte de la personnalité dont n’ont pas besoin les chefs pour avoir le citron gonflé comme un pamplemousse.

Le blogueur poisson-pilote des chefs n’est pourtant pas le plus sournois des intrigants qui gravitent dans la faune de la sauce. S’il fraie depuis suffisamment longtemps dans le microcosme des toques et qu’il a gagné la confiance du donneur d’ordre, il se hisse parfois au rang de « conseiller en communication » parfois exclusif d’un établissement. Pour?

Le « conseiller en communication » ne sert pas à augmenter le chiffre d’affaire du restaurateur. Il ne s’agit pas pour lui de vendre la vérité, pas de narrer une cuisine existante en donnant son sentiment après test, mais de débiter un amas de mots pour faire rêver en décrivant une table parfaite où le client désire poser son appétit parmi l’aristocratie culinaire qui fréquente un lieu d’exception.

Autrement dit, les attributions de l’as de la propagande sont de dégommer la distorsion entre une réalité vécue par le client (repas) et la réalité fabriquée par la publicité (rêve). Des fois ça marche, des fois non. La méthode appliquée au registre de la communication politique mène parfois au clash, comme nous le rappelle l’actualité, notamment en France. Comment?

Le « conseiller en communication » doit souligner que le but de son client cuisinier est la créativité, pas l’argent. Autodidacte et né en banlieue? Parfait! Prouver que sa cuisine est nouvelle car il aime les arts et les sciences. A l’instar des méthodes de la propagande politique assénée par les télés et les éminences grises de nos dirigeants, on aime le chef hors de son contexte professionnel: photos de familles, vestiaires avé les copains du ru’by, le ouic-end en tenue légère sur la place du marché… Il faudra discrètement (mais distinctement) souligner sa participation aux « restos du cœur » et pourquoi pas, qu’il est un esprit révolutionnaire dans l’âme. Même s’il s’intéresse peu à la cuisine de ses confrères, il réfléchira à l’intérêt de faire partie d’un club de chefs. Il daignera y être accueilli avec l’élite supposée des têtes de gondoles initiées aux mêmes pratiques communicantes… et surtout pas associé à la masse laborieuse du commun des cuisiniers admis comme faire-valoir de la fine-fleur. Le mort-né « Club de la Gastronomie » du Var comme la coterie « Gourméditerranée » – qui perdure notamment grâce à la manne publique – du côté de Marseille sont à ce titre de bons exemples.

Bref! La « communication culinaire » à la solde des chefs? Un salmigondis de procédés diffuseurs de vide. Au cas où le suspicieux de base plus malin que les autres nous qualifierait de « paranoïaque » : un célèbre propagandiste du monde de la gamelle s’appelle Rafael Anson, il est par ailleurs président de l’Académie Royale Espagnole de gastronomie. On sait de lui qu’il fut… attaché de presse du militaire Franco, dirigeant nationaliste espagnol de 1939 à 1975. Et? Figurez-vous que Rafael Anson a contribué à fabriquer l’image du célèbre cuisinier espagnol Ferran Adrià! Qui se prénommait en réalité Fernando »… mais c’était moins vendeur que « Ferran » pour son conseiller en communication! Un exemple de la force d’une propagande bien menée. Que ceux qui le savaient lèvent le doigt!

Olivier Gros