L'OS ET L'ARÊTE du Bouche à Oreille n°106 Avr 2018

« C’EST PAS PARCE QU’ON A RIEN A DIRE QU’IL FAUT FERMER SA GUEULE »

Michel Audiard

 

… dans le domaine de la critique gastronomique pourtant: si.En tous cas selon nos principes. Toujours fortiche quand faut se faire prendre la main dans le sac, le guide Gault et Millau nous en dégaine encore une bonne. Propos relevé fin avril 2018 sur leur site*, le restaurant cité ici pourrait en être un autre: le cas n’est pas unique.

OUREA

Chef chez Sémilla, dans le 6e arrondissement de Paris, pendant 5 ans (auprès d’Eric Trochon), le jeune Matthieu Roche s’est installé à Marseille au printemps 2017 avec sa compagne, Camille Fromont (en charge notamment de créer la carte des vins) dans la cour intérieure de la boutique de mode Jogging. Un nouveau départ pour cet Aixois de naissance qui proposera une cuisine bistrotière soignée et proche du marché. Sur réservation uniquement, le midi du lundi au jeudi et le jeudi soir. L’ouverture de leur restaurant est programmée début avril 2018.

Ce cas flagrant de pollution d’espace dans un « guide de restaurants » n’est pas exceptionnel par ailleurs également. Le Michelin lui-même s’est plusieurs fois fait épingler par la patrouille pour des critiques de restaurants non encore ouverts, frasques parfois relayées par les médias. On se souvient aussi d’une rigolade en 2007, quand Jacques Gantié causait d’un établissement pas encore ouvert**. En évoquant le restaurant du Radisson à Marseille sur le Vieux-Port, « l’homme qui murmurait à l’oreille des réseaux » nous pondait une merveille de trou noir:

« le restaurant n’avait pas ouvert à l’heure où nous écrivons ces lignes mais nous avons pu le visiter (…) nous avons eu la carte en avant-première. Les entrées donnent le ton (…) bonbon croustillant de chèvre chaud, soupe de poisson (…) même principe pour les plats, avec les poissons (…) selle d’agneau de Sisteron cuit à l’anchoïade ».

Mais enfin: pourquoi faire un commentaire alors que le restaurant n’a pas encore ouvert ses portes? Ya pas assez de restaurants ouverts depuis assez longtemps à Marseille et ailleurs? Une explication possible: de craintes d’être mis hors-jeu et dépassés par les nouveaux comportements du consommateur, les« guides traditionnels » (appelons-les ainsi) piratent les méthodes de travail floues des blogueurs et publicitaires. On connait la marotte de certains restaurateurs: contrôler les journalistes fainéants en transmettant un dossier de presse… à la presse afin de faire un appel d’air entre correspondants… de presse et blogueurs plus ou moins influents. Car en effet, il faut savoir que ces bavards inutiles passés maitre dans l’art du vide se recopient abondamment les uns les autres. Journaux, télé, radio et Internet! C’est plus simple, ça fait du volume, et ça coûte toujours moins cher que de prendre sa voiture et de payer son repas une fois l’établissement ouvert. Peut-être même que, pas chien avec le pisse-copie ainsi tenu en laisse, le restaurateur renverra l’ascenseur en l’invitant à un déjeuner de presse quand la table sera (réellement) ouverte. En compagnie des autres confrères journalistes gastronomiques également invités. Des copains qu’on tutoie et avec qui on cause déontologie du métier entre la poire et le café.

Car depuis plus de 27 ans « le Bouche à Oreille » observe les pratiques du journalisme gastronomique, ses méthodes, ses limites, ses mutations. Détecter les gens de pouvoir du milieu, s’insérer dans les associations de chefs qui aspirent des fonds publics pour leurs affaires privées, les suivre comme le poisson-pilote suit le requin, causer des « amis » cuisiniers encastrés comme eux dans les réseaux de grands chefs, de leurs disciples de la gamelle émancipés pour leur propre compte toujours tenus en laisse: « vas-y lance-toi jeune et si tu as besoin de quoi que ce soit, je serais toujours là » . Ducasse et Robuchon sont les parrains -pardon- les maitres dans ce jeu de noyautage de la restauration. Alors forcément, cette jeune garde obligée payera pour adhérer au club du « Collège Culinaire » tenu d’une toque de fer par nos Dupont et Dupond multi-étoilés de la sauce. Pourtant, on n’a jamais vu un seul client entrer dans un restaurant appartenant au « Collège Culinaire » repéré auparavant dans le catalogue ou sur le site internet de ce club. Dont l’ambition cachée est pourtant de dégommer l’église Michelin… qui de son côté dans le même élan, choisit ses ouailles dans un savant mélange de médaillés mérités et de copinage exagéré avec des farfelus de la casserole cooptés. Du grand art.

Olivier Gros


* https://fr.gaultmillau.com/restaurant/ourea?locale=fr-FR
** https://www.le-bouche-a-oreille.com/os/le-noyau-dans-la-mayo-5/