« Les bonnes tables, les mauvaises et celles à éviter ». Depuis 30 ans notre propos rigolard et satirique accompagne et protège le consommateur de restaurants qui cherche un éclairage des assiettes qu’on lui fait avaler. La liberté de la presse, et le droit à la critique en particulier, est parfois remis en cause. Il nous paraissait opportun de présenter à nouveau l’édito signé du fondateur du guide Paul Bianco paru dans le Bouche à Oreille n°52 de décembre 2004.

MERCI BEAUMARCHAIS!

Avons-nous la science infuse? Sommes-nous plus malins que les autres? Un guide doit-il être fait par des professionnels de la cuisine? Sommes-nous aptes à critiquer? Ainsi pourrait-on poursuivre l’inlassable questionnement qui trottine dans bien des têtes après la lecture distraite ou attentive de notre guide, unique dans sa conception sur le plan national. Une seule réponse me vient à l’esprit et qui a toujours conditionné ma carrière d’écriveur-frondeur, c’est la célèbre phrase de Beaumarchais: « sans la liberté de blâmer, il n’y a pas d’éloges flatteurs ». C’est la seule réponse qu’on peut apporter. Si cette liberté de blâmer nous est confisquée, dites-moi quel sens et quelle valeur aura la moindre éloge et par là-même un guide composé uniquement de flatteries? Bien sûr qu’on ne doit pas franchir certaines lignes comme les attaques personnelles, toucher à la vie privée des personnes ni porter ses sarcasmes sur les défauts physiques des gens ou encore faire des jeux de mots vulgaires ou malencontreux sur les patronymes de citoyens qui n’ont rien à voir avec ses prestations. Prestations qui doivent être l’unique préoccupation du critique. S’en tenir là doit être la règle fondamentale du métier de critique gastronomique, règle qu’on applique rigoureusement depuis 14 ans. « Et si ce critique se trompait » pourrait rétorquer le lecteur plus pointilleux? Hé bien, il serait immédiatement sanctionné par l’ensemble de son lectorat qui ne lui accorderait plus aucune crédibilité et entamerait sérieusement sa pérennité. Donc le critique malgré la liberté qu’il s’accorde est tenu professionnellement de mettre en concordance sa perception des prestations avec une certaine réalité. Là où intervient une certaine difficulté, c’est précisément que chacun a sa réalité et que des divergences de vues s’entrechoquent. En conclusion admettons que cent personnes décident de monter leur propre guide, vous aurez droit à cent guides différents avec des critiques diamétralement opposées. Et chacun aura son groupe de fidèles lecteurs parce que le critique aura répondu à ce qu’attend le lecteur, aura épousé ses thèses. Merci Beaumarchais! Car à l’époque où il est de bon ton d’accuser la presse en général et les guides en particulier, tant que la liberté de s’exprimer restera la règle d’or en France, le Bouche à Oreille existera, contrairement à des pays comme la Corée du nord, l’Iran ou la Chine qui bénéficient d’une protection totale vis à vis des médias satiriques, et où il ne serait pas pensable que nous existions, sauf peut-être derrière les barreaux. A tous ces penseurs profonds qui nous écrivent la plume scandalisée par certains de nos propos: veulent-ils de ces régimes où la censure est naturelle et de rigueur?

                                                                                                                                                  Paul Bianco