L'OS ET L'ARÊTE du Bouche à Oreille n°114 Juil 2020

LE PRIX N’EST PAS LA VALEUR

Le 15 mai dernier à la télé, l’émission C dans l’Air sur la 5. Blabla entre experts de tout, c’est-à-dire souvent de rien. Thème du jour pendant le confinement: « Vacances: alors on réserve? ». Les invités spécialistes répondent aux questions des téléspectateurs quand arrive celle-ci: « Pour que les français réservent, les campings, les hôtels, les restaurants devront proposer des prix attractifs, le feront-ils? »

Qu’importe ici les réponses dont celles du pourtant brillant économiste Jean-Marc Daniel (en photo) qui reste ici planté dans une rhétorique soporifique. De toute façon, l’intérêt est plutôt dans la question: qu’est-ce qu’un prix attractif?

On peut considérer que pour un camping, un prix « attractif » est un prix « moins cher que la valeur« , valeur calculée en rapport de la qualité de son emplacement, de la commune, de son standing, des services, masse salariale etc. Pour un hôtel c’est un peu la même chose, il existe même des classifications officielles (parfois obscures) pour les catégoriser. Il faut noter que dans les deux cas, l’investissement foncier initial est souvent important et que, en faisant court, les frais sont (presque) identiques, quune chambre d’hôtel soit vide ou occupée! Autrement dit quand l’hôtelier sait qu’il ne va pas « remplir », il peut communiquer sur des tarifs au rabais avec le soutien de sites comme Booking… dont il se plaint du « racket » quand il doit passer à la caisse! Bref!

Pour un restaurant en tout cas un vrai avec du vrai personnel et non de ces boites à apprentis non encadrés corvéables à souhait et qui sont pourtant la majorité du personnel dans certains établissement où ils n’apprennent rien, ce qui est interdit ce n’est pas la même limonade: la donne est différente. Dans un vrai restaurant tel que nous l’entendons au Bouche à Oreille, il faut des « mains » pour éplucher, cuisiner, laver, nettoyer, servir etc. Et s’il n’y en a pas, des mains, vous ne mangez pas dans un restaurant mais dans un terminal de cuisson sans personnel qualifié, c’est-à-dire équipé de ciseaux et de micro-onde à défaut d’une autre compétence en cuisine. Un transfert de charges: l’industriel fabrique les plats que je paye plus cher que si je savais les faire, mais j’ai moins de personnel à payer. Et il revient moins cher au restaurateur d’embaucher du personnel non qualifié à mi-temps simplement équipé de ciseaux. Facile à comprendre non?

La notion de « prix attractifs«  est une lubie créée par le marché, folie économique libérale qui tire la qualité vers le bas. Le prix d’un produit manufacturé (auto, télé, meuble…) ou d’une prestation aujourd’hui ne représente plus la somme d’heures de travail (salaires+cotisations sociales), de matières premières, de loyer et d’électricité, de crédit et d’entretien etc. Ce principe de cumul de coûts pour définir un prix de revient est aux oubliettes, sauf pour quelques admirables artisans romantiques. Les tarifs se calculent désormais ainsi: quel prix est prêt à mettre le client sur mon produit ou ma prestation? Il ne faut donc pas s’étonner de la baisse de qualité au restaurant, notamment à cause des vendeurs de (fausses) remises et (fausses) promotions* comme La Fourchette (filiale de TripAdvisor), Groupon et tous les autres qui proposent des repas à 40€ remisés à 25€ qui ne valent pas plus que 14€. Les restaurateurs augmentent leurs tarifs de base pour faire une fausse remise donnant… un prix soi-disant attractif. Abomination sociale de la profession inadaptée et fuite du personnel découlent du pathétique: « on ne compte pas les heures en cuisine, ça a toujours été comme ça« .

On va dans un restaurant par désir, on y retourne parce que c’était bon. Chacun place le curseur du cher ou pas cher où il veut en fonction de ses moyens!

* https://www.le-bouche-a-oreille.com/os/marchands-de-remises/

                                                                                              Olivier Gros