L'OS ET L'ARÊTE du Bouche à Oreille n°86 Juin 2013

LES TICS DES SANS TACT

L’apéritif au restaurant ne m’est ni agréable, ni conseillé! C’est qu’avec ce sacerdoce de cobaye aux cadences infernales et 380 restaurants par an, faut ménager la monture. Et je n’ai pas gout à me violenter la bouche avant un repas. Sauf un verre de vin, suivant lequel! J’adore d’ailleurs les barmans débrouillards (j’vais voir ce que j’ai…) qui dégotent un reliquat de bouteille en plissant les yeux, regardant à contrejour s’il y en a assez, au fond, et qui pas peu fier de vous avoir trouver kèke chose, vous l’amène avec la satisfaction du devoir accompli. Beaucoup moins plaisants les serveurs à cran qui poussent à la consommation.

L’autre jour au Cristina à Bandol (83), j’arrive à midi passé. Encore debout derrière ma chaise, le serveur me demande comme si j’étais pressé: « vous voulez un apéritif? ». Les bras coincés dans ma gabardine de pêcheur breton que j’essaye d’enlever, j’ai répondu « non merci ». Comment peut-on se mettre aussi peu à la place d’un client? Je n’ai toujours pas terminé mes contorsions de déshabillage façon éléphant de mer sur la banquise qu’il poursuit « un verre de vin alors? ». Je redis non, un peu sèchement. Pas découragé, il enfonce le clou « de l’eau peut-être? ». Ah bah voui que je dis, un peu essoufflé… autant par ma propre agitation vestimentaire que par la ténacité du vendeur. « Gazeuse ou plate? ». Du robinet siouplait! Il a fini par partir. Et ne me dites pas que le serveur était stressé par le service et les nombreuses tables: j’étais seul en salle! En fin de repas et en fin stratège commercial, le serveur décidément en pilote automatique me demandera « si je veux le café avec mon dessert ». Comme si c’était une offre que je ne pouvais pas refuser.

C’est rigolo car la veille, j’avais mangé au « Bœuf Chantant » à Saint-Paul les Durance (13). Le repas est à oublier, mais pas la philosophie de la maison. La petite serveuse m’a effectivement demandé « si je voulais un apéritif ». J’ai décliné. Elle est revenue guillerette avec une simple carafe d’eau. Mais aussi, des rondelles de saucisson (par ailleurs excellent) offerte de bon cœur et un sourire grand comme ça! Je lui ai alors demandé si ça ne la dérangeait pas de m’amener un verre de vin rouge.

Olivier Gros