L'OS ET L'ARÊTE du Bouche à Oreille n°85 Juin 2013

« LE LABEL DE QUALITÉ »D’ALAIN DUCASSE:

L’ARBRE QUI CACHE LA FORÊT

La presque intégralité des rédactions nationales avait le 8 avril 2013 un dossier de presse posé sur le bureau. Celui qui annonçait la création d’un « label de qualité » pour les restaurants. Une quinzaine de chefs étoilés dans le pas du chef de file Alain Ducasse, tête de gondole médiatique. Il est quand même prodigieux d’observer à quelle vitesse obtempère le gratin des journalistes quand le service marketing du groupe Ducasse rote une « information ». Y aurait-il un rapport avec le fait que son président fasse partie des 100 personnes les plus influentes du monde selon le magazine économique américain Forbes? Mais passons! Inutile de causer de la forme de ce nouveau « label »! D’autant que d’autres l’ont déjà fait de manière éclaircissante et avisée. Comme le fameux restaurateur Xavier Denamur dont nous rejoignons souvent les angles de vue, notamment quand il fait remarquer la bruyante discrétion de Ducasse et consort sur la question du bœuf au cheval ou le contraire, je sais plus.

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Les commentateurs indépendants -c’est-à-dire ceux n’ayant aucun intérêt direct ou indirect avec Alain Ducasse ou une de ses maisons sur laquelle il pose son divin doigt- se focalisent sur la question de la légitimité de ce « label de qualité » créé, notamment quand ils évoquent l’abandon des responsabilités de l’Etat qui par définition ne peut être que l’unique garant du sérieux d’un label, quel qu’il soit. Or l’Etat se désengage de plus en plus souvent, et sur tous les fronts. Des « économies » au 1er degré, une hécatombe au second. La nature ayant horreur du vide et Ducasse appréciant les « cuissons lentes à basse température », il entre dans la brèche. Il se fait (un peu) attaquer sur la question de qui décide d’un « bon restaurant », de la légitimité des critères de sa sélection, de la somme à débourser par le restaurateur etc. Cooptation, arbitraire et économie doivent faire bon ménage.

Mais la machine Alain Ducasse est bien rodée. 17 étoiles au miche, 2000 collaborateurs à travers le monde, 70 millions d’euros en 2012. Devant les micros et les caméras, il n’a pas meilleur allié à sa cause que le journaliste serviteur des pouvoirs David Pujadas. Lors du 20h de la 2, le préposé qui émarge dans le service public, censurera Xavier Denamur alors même qu’il devait intervenir pour soumettre au téléspectateur son point de vue. Allez hop! A la trappe! Le restaurateur-militant Xavier Denamur s’apprêtait à mettre en exergue les paradoxes de l’entrepreneur Ducasse devenu monégasque en 2008. Le grand public attendra donc pour avoir cette information: la maison Ducasse est partenaire de Brake** et SODEXHO, deux industriels progressistes bien connus pour leur vision philanthropique du monde de la tambouille. A ses côtés, Thierry Marx n’est pas mal non plus en collaborateur de Danone. Et ça tombe bien: on patauge dans le yaourt avec ce mélange des genres!

Donc, j’y viens: qu’on se le dise! Ducasse ne veut pas créer un label… mais un guide! C’est ça son ambition! Rien d’autre! Et la boucle sera bouclée dans son bizness! Après l’opération qui vise à référencer 10000 restaurants sur des critères d’une objectivité poilante (c’est une autre question), il aura le contrôle intégral l’ensemble de la restauration! En amont du synopsis, la création du label n’est que poudre aux yeux! Une stratégie de diversion pour se rapprocher des restaurateurs qu’il a dans le viseur! Parions que rapidement, une des nombreuses filiales ducassienne éditera « le guide des restaurants de qualité ». Un pied de nez qui pourrait bien achever un guide Michelin en recherche de second souffle auprès d’un lectorat qui se pose des questions sans que les médias ne les aident à avoir des réponses.

Olivier Gros