L'OS ET L'ARÊTE du Bouche à Oreille n°113 Fév 2020

Nous ouvrons volontiers nos pages à des observateurs extérieurs qui écrivent et ont un avis.

TRIBUNE LIBRE

UNE VIE D’EXTRA ORDINAIRE

J’avais accepté ce boulot par passion pour le vin, me sentir exister, contenter les clients. Juste un contrat d’extra, qui me permettait d’exercer quelques jours par semaines, des fois un. C’est très physique pour une santé qui ne cesse de décliner, enchaîner sept heures d’affilée, pratiquement sans pause, 15mn au mieux. Il me faut plusieurs jours pour m’en remettre, alors que les autres salariés sont en « coupure »: c’est là que tu sens ton handicap.

J’ai de la chance, l’équipe est très sympa, bienveillante, la communication est simple. Pas de « oui chef » à chaque fin de phrases, ils sont au courant de mes intolérances alimentaires dues au traitement nécessaire à ma survie. Ils compatissent, sans tomber dans le voyeurisme, ni dans la guimauve. J’essaie de faire mon travail au mieux, de ne pas m’imposer. Etre discret, observer. J’ai décrypté la carte des vins, relevé les erreurs des noms de domaines. Il s’agit plutôt d’un pavé mal fait, sans réelle recherche, d’un catalogue. Mais je ne suis pas là pour juger et c’est tellement facile de critiquer, quand tu débarques avec des yeux neufs, je garde mes réflexions pour moi. La version PDF que j’ai reçu est obsolète depuis plus de quatre ans, les références, les prix, le stock est bidon, j’ai dû prendre des photos de la carte du resto pour tout rectifier à la maison. J’ai même passé des heures à rechercher qui fait quoi, si les cépages étaient bien ceux indiqués, les différents élevages.

Les premiers services se passent bien, esprit un peu à l’ancienne (étoile Michelin), on propose des apéritifs à base de Byrrh, des Muscats de Noël de l’année dernière, des Maury. Tout ce qu’il ne faut pas boire en début de repas, trop aromatique, trop sucré, trop amer…. Le Champagne est celui qu’on trouve à Auchan, j’ai honte de le servir et ne le propose pas, je le sers uniquement si on me demande des coupes. La plupart des clients n’y prêtent pas attention, c’est le plus minant. La carte propose des accords de vins avec les menus, là c’est pareil. Les vins ne viennent pas de la G.D mais n’ont pas d’âme: des jus carrés, souvent forts car trop de sulfites, donc avec un alcool chaleureux. Une boule en somme, sans longueur, sans impressions sapides, une boule carrée. Pourtant, quelques pépites dorment à la cave, et j’estime que vu le prix des menus, le client mérite un vin qui lui parle, le marque, le bouleverse. Et même si les prix étaient plus bas, il ne faut pas négliger le vin car les gens boivent peu mais veulent de la qualité, surtout qu’il y a le choix maintenant de trouver bon et pas loin.

Un crémant de Limoux tient la route, peu dosé, peu ou pas sulfité, une légère oxydation ménagée. Je vois avec le Maître d’hôtel… d’ailleurs seul en salle, et chef tout seul en fait, si on peut le vendre à la coupe. Pas de problème pour lui, et les premiers bouchons sautent.

Jeudi in situ avec le patron:

« Bonjour, vous êtes dispo pour le 25 à midi, le 31 au soir puis le 1er de l’an?

– Oui…

 Le soir même par SMS

– … et ce samedi midi, le soir et dimanche midi vous êtes dispo?

– Désolé, je ne peux pas enchainer physiquement deux services, voyez où vous avez le moins besoin.

– D’accord, pas de problèmes, je vous tiens au courant demain. »

Vendredi soir 22h07 par SMS:

 » Bonsoir, nous sommes « demain ». Puis-je savoir ce que vous avez décidé?

– Ah oui… venez samedi midi et dimanche midi.

– Merci »

Le vendredi suivant à l’auberge:

« Bonjour, vous êtes dispo samedi soir? Il commence à y avoir des réservations, j’aurais peut-être besoin de vous.

– Oui, ok. Confirmez-moi quand vous en saurez davantage. »

Samedi 16h08: pas de retour. Je le questionne par SMS:

« Bonjour, qu’avez-vous décidé pour ce soir ?

– Ben finalement, j’ai pas besoin de vous. J’espère vous contacter la semaine prochaine. »

Viré par SMS, ça pourrait être le titre d’un livre, d’un film… Je passe le jeudi suivant chercher ma paie, le contrat etc… Le comptable s’est trompé sur mon nom, j’ai l’habitude des bourdes des pseudo-comptables, pas un souci. Avec le restaurateur nous bavardons de choses et d’autres, puis il me demande

« Dimanche midi vous êtes libre? sachant que l’agenda n’est pas plein ce jour là. »

Je lui réponds: « On est jeudi, voyez si vos réservations évoluent et tenez-moi au courant.

Dimanche 9h22 par SMS:

« Bonjour, nous avons des réservations donc je crois que je vais vous faire venir, si vous êtes toujours disponible (donc dans une demi-heure) quitte à vous faire partir plus tôt, s’il y a moins de clients…

– Malheureusement, je ne suis pas disponible aujourd’hui. Mon état de santé n’est vraiment pas compatible aujourd’hui, je ne vais pas m’étendre.

– Bon, on va s’en sortir car je n’ai pas d’autres résa, mais permettez-moi de vous rappeler que je vous avez « booké » quand vous êtes venu et que c’est vous qui avez refusé.

– Je n’aime pas ce genre d’échanges stériles: pour rappel vendredi, vous étiez indécis et je vous ai laissé le choix. La semaine dernière, vous avez annulé ma venue deux heures avant le service. Là, vous me prévenez une demi-heure avant. Malgré tout, je comprends votre situation.

– Je vous libère de toutes les dates pour lesquelles je vous avais sollicité, vous passerez début janvier récupérer votre solde.

– Ces propos ne vous ressemblent pas, je vous invite à réfléchir et à me recontacter par téléphone quand vous serez d’humeur. Sincèrement. »

J’ai reçu encore un très long SMS vers 23h00, dévoilant une mauvaise foi de grande taille, avec un pamphlet sur le rôle de l’employeur, de qui, quand je dois embaucher, une belle tirade de son ego démesuré. J’ai laissé passer quelques jours, sans répondre. Je devais travailler le jeudi midi….

Mercredi 18h00 au téléphone:

 » Bonjour, comment allez vous? » Malaise de son côté, réponse bredouillante. J’enchaîne: « J’ai survolé votre dernier message, je n’y ai pas répondu car bien des mots peuvent être interprétés et dans une relation, je préfère la rencontre ou au moins une discussion téléphonique. Vous me reprochez quoi au fait, concrètement?

– Ben là, c’est pas trop le moment mais revenez au mois de Janvier, on pourra en discuter.

– Pardon? J’ai pris mes dispositions pour venir bosser pendant les fêtes et là, vous me virez par sms? Sans explications? »

Je vous épargne le reste, j’ai hurlé au téléphone, s’il pensait que j’étais à sa disposition, si je devais attendre chez moi que Monsieur m’appelle ou mieux, si je devais dormir dans sa cave. Je suis écœuré de cette société, d’entendre que « personne ne veut bosser » et que « tout le monde est planqué au chômage ». J’ai eu pleins d’employeurs dans ma vie, des dizaines, en intérim, en cdd, en cdi. J’ai eu des prises de becs avec certains, d’autres avec des salariés, mais le lendemain, c’était oublié et on passait à autre chose. J’y ai laissé ma santé surtout, pour arriver à 50 ans à entendre des conneries pareilles. Bien sûr, je vais encore culpabiliser car j’enchaine ce type de crises, ce genre d’employeurs indélicats qui usent de la possibilité de contrats les plus précaires qui soient, payés au smic et qui pensent en toute normalité que l’employé doit être à disposition… y compris quand il ne travaille pas!

Jamais, je ne me suis fait viré par SMS. Jamais.

 

Marc Barranco

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