L'OS ET L'ARÊTE du Bouche à Oreille n°82 Juin 2012

« TOP CHEF » ET « MASTERCHEF »

LES GRANDES ILLUSIONS

Aaah! Les émissions télé du type « top chef » ou « masterchef »… Les mises en scène laissent à penser qu’on devient chef en deux coups de cuillère à pot et deux coups de projecteurs! Ça fait un mal fou au métier de cuisinier! Je veux dire, surtout à ceux qui le pratiquent sérieusement au quotidien et qui en connaissent les difficultés, employés ou patrons. Les obstacles pour trouver du personnel ne se sont pas amoindris depuis le début de cette mode télévisuelle dont on pourrait au contraire penser qu’elle œuvre à la démystification du métier. C’est au mieux une distorsion de la vérité, au pire une franche tromperie! Malgré l’angle pédagogique parfois affiché dans les explications, les trucs et les astuces. Allez donc démontrer à un gamin que son boulot en cuisine le soir et le week-end est aussi d’éplucher les patates et de faire la plonge pendant que les copains (et copines) font la fiesta! Car la cuisine, c’est aussi cela! Eviter cette réalité serait un peu comme dire à un élève de 4ème qui obtient un 15/20 en rédaction que dans 3 mois il postule pour le Goncourt! Ou que l’élève de 1ère année d’école de journalisme prend la direction du « Monde Diplomatique » ou présentera le journal de 20h à la télé! Encore que pour le deuxième…

NOS GRANDS CHEFS « JUGE ET PARTIE »

Overdose d’images romantiques sur le monde de la sauce et du fumet! Mise en scène des coups bas, des souffrances, des espoirs, des états d’âme, des ambitions! Tous ces efforts devraient pourtant en ajouter à la possibilité d’une crédibilité! Tout le contraire! Et le jury? Il est tout de même incroyable que dans le cadre de la plupart des émissions télévisuelles, les prétendants à la toque ne soient estimés que par des professionnels! Des confrères, en somme! La légitimité pour juger d’un plat serait d’être chef soi-même? Le principe conforte l’idée même de hiérarchie chère à notre culture franco-française! Les professionnels en place déterminent les professionnels en devenir! M’enfin c’est dingue! Qui juge un livre? Un film? Une peinture? Une œuvre de musique? Le critique et le client. La cuisine, c’est l’exception! Excusez-nous! On se juge nous-mêmes! Besoin de personne! Navrant! Dernière preuve de l’infiltration des chefs médiatiques pour instrumentaliser ces émissions du genre: Norbert Tarayre un des « top chef 2012 ». Il se confie dans Télé 7 jours: il a travaillé pour Cyril Lignac, Marc Veyrat et chez Bernard Loiseau (1). Voilà comment on se fait un réseau et comment on bâtit une filière! N’allez pas chercher ailleurs le manque d’ouverture sur le monde d’une certaine gastronomie poussiéreuse qui n’est curieuse que de ce qu’elle connait déjà! Et de l’opportunisme avant-gardisme de chefs espagnol, italien ou suédois.

NOS GRANDS CHEFS: DU PIANO À LA PHOTO

Supposons le jeune tenté par le métier de cuisinier. J’ai vu à la télé, je peux le faire. Tu parles, fastoche. En plus avec la téloche, t’es célèbre avant d’être connu! C’est cool! Aussi quand t’es chef, tu travailles pas. Ben tiens! Les frères Pourcel sont à New-York pour un diner de gala (2)! Comme d’autres! Dont l’inénarrable Christophe Bacquié qui postule sans complexe pour une 3ème étoile dans le miche dans son fief du Monte-Cristo au Castellet dans le Var (3)! Ouafouaf! Vu notre dernier test et les retours que nous avons depuis un moment sur la boutique, va falloir qu’il soit un peu plus assidu aux fourneaux plutôt que dans les coquetailes mondains, le chef! Et l’étoilé Marc de Passorio de Valrugues (St Rémy de Provence)! Ça roule pour lui! Il fait le rallye du Touquet(4)! C’est quoi sa marque de pneus? En tous cas, balèze organisation de sa part dans un métier ou les 35 heures par semaine sont une hérésie!

NOS GRANDS CHEFS: JE PASSE À LA TÉLÉ DONC J’EXISTE!

La raison à peine cachée de ce grand spectacle est le business. Faut bien vivre. Le rituel des classements annuels des chefs ne suffit plus à faire monter la mayonnaise des enchères! Avec des pneus aussi lisses que son propos le rouge Miche s’enlise, le peu crédible GoMillo fait tellement se poiler le monde de la tambouille qu’on le surnomme « les pages jaunes », on a perdu la trace du guide Hubert… par contre avec le surréaliste Champérard: on se marre! C’est toujours ça de pris! Bref! Désormais le chef doit passer à la télé et ailleurs! Pour vendre des livres ou des produits de bouffe avec sa photo en habit de lumière pour la grande distribution! Ce qu’il veut tant que ça se vend! Ou simplement pour ouvrir d’autres restaurants! Pour exister, un chef doit être vendable comme n’importe quel autre produit. Ce n’est pas Thierry Marx qui a quitté sa prison dorée du Bordelais (Cordeillan-Bages à Pauillac) pour les rassurants et rémunérateurs projecteurs de la capitale reconnaissante qui contredira.

Notons avec délice que ces émissions télé restent (pour l’instant) un des seules solutions pour échapper au rouleau-compresseur de la filière marketing de Ducasse, parrain de nombreux cuisiniers qui squattent les médias nationaux avec zèle, via notamment la filière « Châteaux et Hôtels Collections ». Emancipé de la sphère Ducasse avec fracas, Jean-François Piège est le parfait exemple.

Olivier Gros

(1) http://www.lemag-vip.com/top-chef-2012/52093-norbert-le-gagnant-top-chef-2012-je-suis-le-piment-de-top-chef.html
(2) http://www.pourcel-chefs-blog.com/blog1/2012/03/28/diner-a-ny/
(3) http://www.varmatin.com/article/la-seyne-sur-mer/un-chef-varois-etoile-a-la-conquete-de-lamerique.835488.html
(4) http://www.email-gourmand.com/index.php/20120401993410/Chefs/marc-de-passorio-a-saint-remy-de-provence-fou-de-rallye.html