L'OS ET L'ARÊTE du Bouche à Oreille n°71 Sep 2009

QUE LES QUALITÉS BAISSENT!

A la rédaction, lorsqu’on a lu le dossier « Malbouffe: l’industrie tue nos restaurants » paru dans le numéro 60 du mensuel « La Décroissance », on n’en croyait pas nos mirettes! Ce mensuel indépendant des groupes de presse, anti-pub et donc non soumis aux pressions des lobbies de l’agroalimentaire met les pieds dans le plat et des mots sur le papier pour le dire! Les constats sont alignés, une leçon d’observation par opposition aux fades « petits soldats du journalisme » aux ordres des annonceurs: faut pas critiquer les méfaits du beurre quand Bridel achète une pub dans mon journal. Bref! Du coup, on a décidé de vous en faire profiter. Aucune raison de vous priver du même plaisir que le nôtre!

Vous pouvez vous procurer ce N°60 de juin 2009 afin de profiter du dossier complet. Il n’est plus disponible en kiosque: faudra vous rendre sur le site Internet http://www.ladecroissance.net/. Profitez-en pour commander aussi le N°49 de mai 2008 qui traite tout aussi remarquablement de la question « malbouffe » sous la plume avisée de Paul Ariès.

Avec l’autorisation de l’auteur Sophie Divry, journaliste, trois articles extraits du dossier « Malbouffe: l’industrie tue nos restaurants » paru dans le numéro 60 de « La Décroissance ».

 La rédaction

FONDANT AU CHOCOLAT SUR CRÈME ANGLAISE:

QUATRE FOIS MOINS CHER

L’agroalimentaire est imbattable question efficacité. Vous voulez régaler vos clients d’un fondant au chocolat sur lit de crème anglaise. Si vous le faîtes vous-mêmes selon les recettes d’Anne, restauratrice, il vous faudra pour la crème anglaise acheter 1 litre de lait, 10 jaunes d’œufs, 200 grammes de sucre et compter minimum un quart d’heure pour la faire, soit 7€ sans prendre en compte le temps de travail. Pour le fondant sont nécessaires 9 œufs, 200g de beurre, 200g de chocolat, 200g de sucre, et 25 minutes de préparation. La cuisson est à ajouter, ce qui porte le prix du fondant à 10€, que l’on peut doubler en comptant le prix du travail et le coût de la cuisson. Théoriquement la crème anglaise doit être jetée le soir car elle contient des œufs à peine cuits. Entamé, le gâteau ne peut pas être conservée aussi longtemps que le seront des fondants individuels, emballés dans un congélateur. Si vous allez chez un grossiste, le fondant congelé vous coûtera au maximum 70 centimes pièce et la crème anglaise 1,80€ le litre. Bien sûr, il y a des édulcorants, de « l’amidon transformée de maïs », des colorants, gélifiants et autres produits cancérigènes, mais au final, ce produit industriel vous reviendra quatre fois moins cher que le fait-maison, 1€ contre 4€ par personne. Vous gagnerez plus, ils savoureront moins.

LE CAP RÉCHAUFFÉ

En 2005, la réforme du contrat d’aptitude professionnel (CAP) de cuisinier, formation généralement dispensée en deux ans après la classe de troisième, avalise l’entrée de l’agroalimentaire de masse dans les enseignements. La liste des techniques évaluées lors de l’examen a été amputée d’une vingtaine de savoir-faire, sept autres ayant été ajoutés. Détailler des poissons, préparer un gigot, ouvrir des huîtres, ébarber des moules, escaloper des fonds d’artichauts, désosser une selle d’agneau ou encore pocher des quenelles et cuire à la vapeur viandes et poissons ne sont plus exigés à l’examen. Le ministre de l’Éducation de l’époque, Gilles de Robien, défend cette amputation en disant : « la formation prend désormais en compte les produits agroalimentaires industriels et met également l’accent sur les compétences relatives à la sécurité alimentaire ». (J.O., 9-8-2005). Sous la rengaine connue de « il faut s’adapter aux marchés », il faut être « moderne », on enlève ainsi aux cuisiniers de demain la capacité de s’affranchir de l’agroalimentaire.

Pour Fernand Mischler, chef de l’auberge du Cheval blanc à Lembach (Alsace), « cette réforme est une aberration! Au lieu de tirer les jeunes vers le haut, on leur enlève la gestuelle de base. Bientôt, le poisson arrivera en pavés et le jeune ne saura plus du tout le détailler. Et les légumes seront pré-épluchés. Déjà, certains ne reconnaissent pas le loup d’un lieu… On nous dit régulièrement qu’il faut savoir mettre en avant le produit mais si on ne leur apprend plus ce qu’est justement le produit, où va-t-on? » (Dernières Nouvelles d’Alsace, 1-11-2005.)

Derrière cette réforme se profile aussi la nouvelle idéologie qui a envahi nos restaurants: on ne vient plus pour manger, mais pour un concept ou ambiance, qu’on paie plus cher que ce qu’il y a dans l’assiette. En somme le marketing a remplacé la gastronomie.

Avant-propos: à nuancer d’avec la burlesque coterie des « Maîtres-restaurateurs Varois » (MRV) née au début des années 90 dont les critères d’adhésion sont très simples: adoubement par un bureau (dé)composés de « MRV » historiques. L’impétrant sélectionné devra débourser une cotisation annuelle variable… sauf pour certains bénéficiant de passe-droit. Si le label national est plutôt boiteux, le clan « MRV » notamment subventionné par les deniers du contribuable* pour que ses ouailles se regardent le nombril, est par essence un authentique scandale.

MAITRE-RESTAURATEUR, UN LABEL DE LUXE

Un label dit « Maître restaurateur » a été crée en 2007 pour répondre à la demande de cuisiniers criant à la destruction de leur savoir-faire. Le but est d’aider le chaland à différencier sur leur devanture un restaurant où on cuisine et celui où on passe tout au micro-ondes. Un peu comme la loi a obligé les fournils de pain congelé à enlever le mot « boulangerie » de leur enseigne. Peuvent bénéficier de la plaque « Maître restaurateur » les restaurants indépendants « réalisant une cuisine « authentique », placée sous la responsabilité directe du restaurateur ou de son chef cuisinier, ne recourant pas à l’assemblage ou à des plats déjà préparés qu’il s’agirait simplement de  » réchauffer «  ».

Deux ans plus tard, on s’étonne que seulement 2000 restaurants ont demandé ce label sur 120000. Mais quand on regarde les critères d’attribution, on comprend mieux pourquoi. Pas question pour un petit troquet du coin, où la patronne est en cuisine et monsieur au service (ou l’inverse) d’obtenir ce label. En effet, il faut que le restaurant ait des pratiques les plus subjectives et exigeantes: avoir un accueil « chaleureux », ne pas raturer la carte proposée aux clients. Tout doit être parfaitement propre et ordonné, il est précisé que « la mise en place de la table doit être faite avec goût et avec des éléments propres et en bon état, secs et non dépareillés ». Si rien n’est exigé en terme de nourriture locale ou de saison, la loi demande par contre qu’il y ait « un parking ou une autre possibilité de stationnement » à la disposition du client. Quel rapport avec le contenu de l’assiette? Aucun, mais cela permet de rendre caduque cette tentative de pister les « faux cuisiniers » de l’agroalimentaire. Où irions-nous en effet si dès qu’un cuisinier faisait le marché et la cuisine, il décrédibilisait l’ensemble d’un secteur passé au tout micro-ondes? En faisant de la cuisine maison un luxe, ce label permet de conforter l’idée que seuls les privilégiés peuvent se payer un vrai cuisinier. Il reste donc à en inventer un autre, plus modeste. Pourquoi pas un « restaurant zéro kilomètre »? On y trouverait avant tout des produits locaux et on aura le droit de servir dans des assiettes dépareillées.

Sophie Divry