L'OS ET L'ARÊTE du Bouche à Oreille n°111 Août 2019

PHYSIOLOGIE LÉGÈRE DU MONDE

DE LA TOQUE ET DES CHEFS EN MAL DE RECONNAISSANCE ÉVOLUANT DANS L’ESPACE CLOS D’UN CLUB OU TOUT AUTRE GROUPE DE CUISINIERS QUI SE REGARDENT LE NOMBRIL SOUS LES APPLAUDISSEMENTS DE LEURS PAIRS.

Des clubs de chefs se créent un peu partout sur le territoire, depuis toujours. Ils durent généralement le temps de racler quelques subventions à droite ou à gauche au bénéfice toujours trouble d’on ne sait jamais vraiment qui jusqu’à l’heure du bilan où parfois, les lampistes trinquent. Subventions parfois privées! Comme celles de l’industrie agroalimentaire qui, au lieu d’avoir 50 toques à convaincre d’acheter les produits de son catalogue, n’a plus qu’un interlocuteur principal à qui faire des ronds de jambes: le président! Les autres obtempèrent, petit doigt sur la couture du pantalon. Un peu selon la méthode chère aux Etats-Unis qui dès la fin de la seconde guerre mondiale contribueront largement à créer le marché Europe: pour vendre sa soupe (et ses hamburgers) mieux vaut avoir un seul interlocuteur à convaincre que 28 états!

Autre manne financière qui nécessite un réseau et de l’entregent: les subventions publiques dont on a ici souvent parlé! Commune, département, région, canton, communauté de communes, la vache et le prisonnier. Tout le monde. Bref: l’impôt. Dans le cadre d’une restauration commerciale aux intérêts privés, ça a de la gueule non? Les « collectivités locales » rechignent à entretenir des écoles délabrées mais filent de l’argent aux amis qui créent des clubs et des associations qui servent à peu, sinon à mettre en valeur les têtes de gondoles de la gamelle. Et sans obligations de résultats, juste pour que ses encartés se tapent des gueuletons aux frais de la princesse sous alibi de réunions de travail généralement complotistes. En effet, comme ils se considèrent chacun comme le centre du monde, ils croient dur comme fer que le monde entier veut les voir disparaitre sous « les charges ».L’aspirateur à subventions est ce chef d’entreprise qui considère avec les sourcils froncés qu' »il y a trop d’assistanat en France », mais qui déroule sans complexe son art de vivre: « tout le monde doit payer sauf moi ». Et les impôts subventionnent mon club de toques.

Autre classique comportemental dans ses appareils parfois associatifs fabriqués sous l’argument imparable de la défense des intérêts des cuisiniers qui les composent: immuablement arrivent les luttes de pouvoir, les « c’est lui qui a commencé », les sous-clans, les stratégies minables de gamins dans un bac à sable. Quelques bons chefs encartés caressent toujours l’espoir sincère qu’un jour meilleur arrivera dans l’intérêt de la profession, et puis les copains chefs, c’est bien, on rigole. Sauf qu’on ne les voit jamais sur les photos, ou pas souvent et jamais devant. Alors ils se taisent, et finalement se tirent. Par contre, les insatiables intrigants avides de pouvoir perdurent, recommencent ailleurs où ils pourront à nouveau glisser leur venin, en (re) pigeonnant de nouveaux collègues cuisiniers ou parfois les mêmes quand ils ne comprennent pas vite. Souvent de bons chefs généralement cantonnés aux rôles de faire-valoir d’une élite auto-proclamée. Ça marche comme ça.

La plupart des restaurateurs n’ont toujours pas compris que le corporatisme et l’entre-soi étaient intégralement contre-productifs pour amener des clients dans leurs établissements. Mais c’est plus fort qu’eux, alors ils se regroupent. Et personne ne doit se mêler de leurs petites affaires, mon restaurant qui reçoit du public est une affaire privée même si je tape de l’argent pour le fonctionnement de mon club à tous ceux qui m’en donnent. On peut même penser que le succès populaire de TripAdvisor est la conséquence évidente d’une demande forte du consommateur à une forme de clarté, comme un rééquilibrage entre les clubs de chefs financés adeptes de l’entre-soi, et la société civile qui en a assez des fadaises déblatérées par les guides gastronomiques copains de ces mêmes chefs. Sauf que la partition très commerciale de la multinationale américaine est infiniment tronquée, uniquement axée sur le fric à court terme, notamment à cause de sa centrale de réservation depuis 2014 « La Fourchette » à laquelle collaborent un nombre impressionnant de restaurateurs schizophrènes qui s’en plaignent pourtant. Le bâton pour se faire battre.

Alors « Le Bouche à Oreille », guide qui donne son avis suite à un test payé en bonne forme, qui référence « les bonnes tables, les mauvaises et celles à éviter », forcément: ça gêne les clubs de chefs, les associations de restaurateurs, les syndicats fossilisés… Un reflexe viscéral de restaurateurs recroquevillés qui ne veulent être jugés que par leurs pairs. Mais qui veulent bien le pognon de tout le monde. Comme TripAdvisor et La Fourchette. Et si on parlait de restaurant et de cuisine?

Olivier Gros