L'OS ET L'ARÊTE du Bouche à Oreille n°45 Jan 2003

Dès qu’on met les pieds dans le plat on se prend une volée de bois vert de la part du restaurateur qui s’estime injustement critiqué ! C’est menaces et compagnie ! Il nous affuble de toutes les tares et les perversions ! Sans oublier notre côté mercantile ! Pour lui, nous ne sommes que des bêtes vénales. Ou du purin avarié ! on pourrait établir un dictionnaire entier de ce jargonnage diffamatoire du restaurateur critiqué. C’est bien connu, le Français ne supporte pas la critique ! Ça date de Napoléon. Et de son vieux code poussiéreux. Contrairement aux Anglo-saxons qui eux sont rompus à cet exercice, ils estiment nécessaire, logique et sain que la critique et l’avis contraire puissent s’exprimer en toute légalité, le Français ne supporte pas qu’on vienne fourrer son vilain groin dans ses affaires. Le petit monde de la gastronomie n’échappe pas à ces trublions de la critique. Ça doit remonter aux antiquités ! On devait langer Charlemagne ! Et nous, on en est encore plusieurs siècles après, à nous poser la question de savoir si on peut porter un jugement négatif sur un établissement qui ne remplit pas les normes minimales des prestations acceptables. Mieux ! On nous demande quels diplômes nous avons pour avoir ce droit élémentaire de porter un jugement négatif ! Au pays des droits de l’homme la question ressemble à une injure. Tout comme si on était dans un pays où le Bolchévisme sévirait encore ! Ou une Corée du Nord à l’occidentale ! Bien sûr que nous restons attaché au respect de la personne humaine ! Bien sûr que nous sommes attachés à sa vie privée ! que nous combattons toutes formes pernicieuses de diffamations ! Comme celui de se moquer des anomalies physiques ! mais dénoncer ou fustiger des prestations, fussent-elles gastronomiques, nous apparaît comme un droit minimal depuis la prise de la Bastille. Mais les uns arguerons qu’ils viennent d’ouvrir et qu’ils travaillent 15 heures par jour, qu’ils ont trois enfants, les autres qu’ils ont vingt ans d’existence derrière eux et que le préfet et le maire viennent régulièrement, donc c’est mieux qu’un critique gastronomique, surtout des critiques indigents et obscurs comme nous, et enfin certains restaurateurs alléguerons qu’ils ont pris une rincée de doléances rédactionnelles parce que précisément ils n’ont pas voulu payer. Et se mettent en quête de répandre cette fausse information auprès de leurs clients qui vont le répéter à d’autres clients qui finissent par nous interroger sur le bien fondé de cette assertion. On est déjà dans la rumeur. La seule réponse qu’on pourrait leur faire, c’est que si c’était le cas, on aurait non seulement une forme d’illégitimité notoire mais nous n’aurions aucune valeur puisque nos informations seraient bidons. En deux mots, nous ne serions pas crédibles et nous n’existerions plus depuis la puberté de Mauricette. En réalité ce qu’on nous reproche surtout, c’est d’exister ! Surtout pour le peuple des égratignés du BAO ! Il ne vient à l’idée de personne de reprocher à un titre de canard ou de guide gastronomique, d’avoir des recettes de vente en kiosque ou de publicités ! On ne voit là aucune duplicité ! Mais le mauvais oeil apparaît dès qu’on apprend que le BAO vend des exemplaires à des restaurateurs qu’il a testés et qu’il a référencés dans ses colonnes parce qu’il rend service à ses lecteurs et remplit sa réelle fonction de guide. Un guide certainement unique en France, qui ne s’en laisse pas conter, qui ne cache pas ses critiques par des disparitions bizarres de pictogrammes. Une forme déguisée de dénigrement. Des tartufes, y en a partout et tout particulièrement dans les guides gastronomiques ! Nous, on a le courage de nos opinions ! le voilà le mal absolu ! celui qu’on nous reproche ! Le BAO ne vit uniquement que de ses ventes au numéro sans le moindre tabou rédactionnel ! Il n’en fait qu’à sa tête ! Et ça, c’est insupportable !

Paul Bianco