L'OS ET L'ARÊTE du Bouche à Oreille n°118 Fév 2022

LA MER PROMISE
DE LA BOUILLABAISSE

Pour un guide de restaurants évoluant en Provence et Côte d’Azur, nous parlons bien peu de bouillabaisse. Non qu’on boude cette spécialité, c’est même le contraire. Seulement, les restaurateurs sérieux qui pratiquent la discipline se comptent sur les nageoires d’une main tandis que les mauvais s’évertuent à vous en dégoûter. Généralement la bonne bouillabaisse, faut la réserver à l’avance, c’est mieux. Car le poisson c’est du boulot et particulièrement ingrat à préparer, entre les écailles, la découpe, le vidage etc. Ajoutons les aléas des arrivages de poissons, suivant météo et l’humeur tarifaire du pêcheur, ou tout simplement l’offre et la demande.

Notre retenue à manger cette spécialité foisonnante en zone touristique, est due aux bidonneurs de gamelle: ils préfèrent la pratique rémunératrice de la pêche aux pigeons plutôt que celle du poisson frais. Car voilà le type de produits vendu par l’industrie agroalimentaire, du poisson à bouillabaisse surgelé qui sera cuisiné par du restaurateur peu scrupuleux avec une soupe de poissons en conserve, voire en poudre à diluer. Procédé qui l’autorise à bénéficier de l’appellation « fait-maison » sans contrevenir à la législation*.

Destiné aux pros de la restauration, le catalogue Carigel d’où est tirée la photo s’efforce de sélectionner du convenable pour l’objectif, ont été choisis les plus beaux spécimens. Pour l’avoir déjà vue du côté de Salin-de Giraud à une époque, en vrai la rascasse est pâlotte et la lotte (de Chine) bien terne: des produits souvent en provenance d’océans lointains. 7,49€ le kilo pour du poisson surgelé qu’on peut parfois considérer comme produit industriel vu les méthodes de pêches.

Pour comprendre, on doit mettre en parallèle ce tarif avec le prix du poisson chez le poissonnier à tarif pro, prix au kilo:
Vives et grondins de 10€ à 14€.
Saint-Pierre de 15€ à 20€.
Queue de lotte fraiche 18€ à 20€.
Le congre entier est à moins de 10€ pièce, on n’utilise généralement que le milieu.
Turbot et barbue se tiennent entre 14€ et 20€.
Daurades sauvages de 12€ à 18€ tandis que l’élevage « propre » est à 11/12€, Grèce ou Turquie 6/8€ le kilo.
Loups sauvages de 15€ à 25€.

Le coût du nettoyage du poisson frais est de 10% à 20% pour le restaurateur sérieux. Celui qui fourgue de la perche du Nil congelée, souvent en lieu et place de filet de rascasse, n’a pas ce problème.

Résultat des courses: en la payant 7,49€ le kilo à Carigel, le restaurateur dealer de congelé qui propose sa « bouillabaisse royale » à 60€ au client fait un coefficient multiplicateur de 8 s’il met un kilo de ces poissons.

Le restaurateur préférant soigner ses clients plutôt que son compte en banque qui vend 60€ sa bouillabaisse royale avec des poissons frais achète sa matière première de qualité entre 20€ et 30€ le kilo suivant les cours. Coefficient multiplicateur de 2 ou 3 dans le meilleur des cas. Pour une bouillabaisse qualitativement très supérieure.

Outre la question économique, l’empreinte carbone et les dépenses énergétiques mises en œuvre pour rapatrier les poissons péchés sont une ineptie environnementale. Poissons raclés au fond des mers des 4 coins de la planète par les bateaux géants… puis éventuellement transportés ailleurs pour traitement. Un carnage. Ce n’est pas le cas de la pêche de chalutier artisanal.

Alors comme j’entends d’ici des escrocs de la tambouille me dire « de quoi je me mêle? », je finis par le dessert.

Si vous tombez sur lui après votre bouillabaisse et que pour pensez avoir fait une affaire dans une taule du port de Toulon, Marseille ou ailleurs, vérifiez quand même la provenance de la « tarte au citron meringuée ». Ça pourrait bien être celle-ci. Vendue au client final entre 6€ et 8€ et achetée 0,54€ la portion surchargée en glucose. Je vous laisse le soin de calculer la marge bénéficiaire, sachant que le restaurateur n’a pas à rémunérer un pâtissier… puisqu’il suffit d’acheter un micro-onde!

L’occasion rêvée d’évoquer deux établissements sérieux référencés dans Le Bouche à Oreille où nous avons dégusté une excellente bouillabaisse:

La Marine des Goudes à Marseille (13) et Côté Mer à Fontvieille dans les Alpilles (13). D’autres restaurants du Bouche à Oreille la propose mais nous ne l’avons pas testée: Le Mont-Salva à Six-Fours (83), l’Hôtel-Restaurant des Maures à Collobrières (83) et peut-être bien sur réservation Chez Francine à Carro (13) qui aime à cuisiner le poisson frais.

                                                                                                                                                      Olivier Gros