L'OS ET L'ARÊTE du Bouche à Oreille n°117 Nov 2021

LA LOUFOQUE MENTION « FAIT MAISON »

LA LIGNE MAGINOT QUI NE PROTÈGE

ABSOLUMENT PAS LES CLIENTS

De nos péripéties quotidiennes de tables découlent des statistiques de terrain. L’une d’elles nous apprend qu’une fois encore la vérité ne sort pas de la bouche de celui qui crie le plus fort. Autrement dit, les meilleurs restaurants ne sont pas toujours ceux qui affichent ostensiblement un prétendu et démagogique « fait maison » rédigé en toutes lettres sur l’ardoise du jour, relayée à table par le serveur- patron appuyant sur le folklo pour survendre sa cuisine prétendue « du marché suivant arrivage », on ne travaille que des produits frais, on n’a pas de congélateur ici et patati et patata.

Ami lecteur, vous devez savoir que la mention « fait maison » est déclarative de la part du restaurateur. L’écrire en toutes lettres n’est tout simplement pas recevable légalement! Pour être valable, le restaurateur doit impérativement utiliser le logo officiel représentant une casserole recouverte d’un couvercle en forme de toit de maison qui selon le législateur, indiquerait « d’un seul coup d’œil aux clients le type de plats conçus dans l’établissement ». Si le restaurateur se risque à l’utiliser, il doit être sûr de son coup! Car il s’expose dans ce cas à un contrôle possible des services de l’État. Autrement dit, seuls sont répréhensibles les restaurateurs affichant le fameux logo. Les autres, ceux qui n’affichent rien d’autres que la liste des plats décongelés, en poches industrielles et/ou le terme « fait maison » en toutes lettres ne seront pas contrôlés par la maréchaussée… Résultat auprès de la clientèle: on s’y perd. A qui profite le crime?

Les syndicats patronaux de la restauration UMIH et GNI sont satisfaits de cette législation sur le « fait maison ». Forcément. Ça arrange plus de 70% de leurs adhérents qui confondent cuisine et terminal de réchauffage. Le trouble manigancé du propos officiel « fait maison » profite essentiellement aux truqueurs de la sauce et du fumet, ceux qui utilisent des produits élaborés par la sous-traitance. Ils sont parfaitement épaulés par l’industrie de l’agro-alimentaire qui à coups de lobbying permanent fait reculer non seulement la qualité des produits, mais obscurcit la lecture de la notion même de « restaurant ».

Pourquoi le succès des produits « tout prêt »? Pénurie considérable de personnel à force d’avoir trop tiré sur l’élastique du rapport salaires/horaires! On connait des bi et triples étoilés du guide Michelin
qui en Provence et Côte d’Azur, payent 1200€ pour 70/80h hebdo des éléments qualifiés de leur personnel de cuisine. Les mêmes Thénardier qui, sur le ton de la normalité vous expliquent à la
télé que « les jeunes ne veulent plus travailler dans le métier ». Tu m’étonnes. Entre février 2020 et février 2021, le nombre d’employés de la restauration en France est passé de 1.309.000 à 1.072.000. Soit 237.000 employés de moins en un an*. Dans le détail, 450.000 partants et 213.000 entrants. Les comptables des industriels de la bouffe se frottent les mains: ils ont bien reniflé l’opportunité du marché. Ils bénéficient du « transfert de charges » du coût personnel au coût produit.

Reste à définir la notion « restaurant » dans ces conditions troubles de législation loufoque organisée pour alpaguer le chaland romantique qui pense faire une affaire en bénéficiant de 20% à 50% de remise sur un repas grâce à The Fork (ex-La Fourchette). Quoi de plus naturel de différencier le cuisinier qui utilise des légumes frais plutôt que du congelé prédécoupé, fut-il de qualité convenable? Est-ce logique de faire bouffer au client du poulet prétendu français alors qu’il vient du Brésil? Et j’en passe.

Pas sûr que règlements et législation soient le meilleur moyen de faire le ménage dans une profession gangrénée par l’obsession de contourner la loi. Nous, on sait juste que plus un cuisinier travaille proprement, plus le métier est compliqué pour lui. S’il veut utiliser des techniques comme les plats tout prêts achetés chez Sysco (Brake) ou ailleurs: libre à lui! Mais pas en trompant le client! Il ne s’agit donc pas de pondre des textes ni de pondre des lignes Maginot législatives parfaitement contournables avec la complicité des industriels et de l’Etat, mais de simple morale de travail. Au consommateur d’observer, de s’éduquer, de comprendre. Lucides et dépités quant à la burlesque législation du « fait maison », les restaurateurs sérieux sont d’ailleurs peu nombreux à se recommander de la mention « fait maison » tant la blague ne les fait plus rire: elle emberlificote les bons et les mauvais dans la même pelote… avec un bénéfice au tricheur. Car on sait depuis toujours que le trouble profite au menteur.

C’est la raison pour laquelle au « Bouche à Oreille » et contrairement à la plupart des guides ou blogueurs de la gamelle: on mange. Pour savoir. On mange dans les restaurants dont on cause. Le reste n’est que discours. Y compris cet article d’ailleurs!

Olivier Gros

* Source: DARES Direction de l’Animation de la recherche des Etudes et des Statistiques (Ministère du Travail)