COMMUNICATION N’EST PAS INFORMATION

Nous pensons qu’un bon guide de restaurants doit choisir le camp du lecteur, pas celui des chefs et de l’entre-soi, des clubs, des confréries, des journalistes-copains des chefs, des annonceurs. C’est depuis toujours notre conception de travail.

La force de l’anonymat, blogueurs et« journalistes »  dont les photos de minois dégoulinent sur les réseaux sociaux ne connaissent pas. Parfois seul sur l’image façon « photomaton », parfois aussi en compagnie de cuisiniers façon « photo-marmiton », ce qui nous fait toujours bien rigoler les poils du dos. Comment dès lors établir une critique sérieuse d’un chef à qui on fait la bise?

Réserver une table avec un nom d’emprunt et un numéro de téléphone inconnu au bataillon. Du coup, on ne vous réserve pas la meilleure table, vous êtes dans les conditions identiques au lecteur, parfois dans les courants d’air ou à côté de la porte des toilettes que vous prenez dans le pif chaque fois qu’un client en sort. Parfois même les bons jours de pêche à aigrefin, le taulier indélicat vous escroque de 1€ et plus sur votre note. Bref! Rien de tel qu’un périmètre non sécurisé pour prendre la mesure d’un restaurant, sentir son souffle sur l’épaule, sa vraie nature.

J’ai appris avec le temps à apprécier mon physique commun: il m’est utile! Bien sûr, je suis parfois reconnu dans le cadre d’un test. Notre travail sur le terrain ne peut pas exister depuis presque 30 ans sans ce genre d’anicroches. Dans ce cas, vous savez que votre test sera différent. Alors il faudra estimer les assiettes voisines, entendre la musique, observer les risettes ciblées, sentir ce qui n’est pas dans le rythme habituel,discerner le chronique de l’exceptionnel. Le restaurateur ne rend d’ailleurs pas service à l’apprenti de salle en l’informant de notre présence à sa table. S’il est pris de trac, les couverts volent, les joues rougissent, c’est toujours ainsi.

Surtout, éviter de se prendre d’amitié: elle parasite le jugement. Le lecteur demande juste une info pertinente et utile, info qui l’aiguillera à ces restaurants. Alors tu fais avec rigueur ton boulot de cobaye ambulant, raison pour laquelle beaucoup de cuisiniers détestent « Le Bouche à Oreille ». Le milieu de la sauce supporte mal la critique. Ce qui explique la corruption des guides et des blogs de restaurants qui se font rincer le bourrelet… et trompent le lecteur! De notre côté: on réserve, on prend la voiture ou le vélo, on mange (si c’est bon…), on paye (toujours), on pose l’œil et on se grave la situation dans le ciboulot. Et puis on narre et parfois on se marre.

Olivier Gros