L'OS ET L'ARÊTE du Bouche à Oreille n°98 Avr 2016

PAIN, VIN, CAFÉ

SIGNES INTÉRIEURS DE FINESSE

Les restaurateurs spécialistes des bouts de chandelles, racleurs de fonds de tiroirs et autres gratteurs en économies mal placées devraient porter attention à un profil de client de plus en plus fréquent: le sceptique qui se méfie. Un cas au hasard, mon copain Gilles.

OS PAIN VIN CAFEGilles me disait: « tu sais, je n’y connais pas grand-chose en cuisine! Et au restaurant je suis bien peu capable de discerner un bon sous-vide industriel d’un plat fait maison particulièrement moyen! Quand c’est bon je mange, quand c’est pas bon, je mange pas! Point barre! ». Alors j’ai pris ma voix grave qui fait sérieux en rentrant le menton dans mon cou, pour lui dire que dans notre métier de cobaye ambulant, nous avons 3 méthodes pour renifler le pot aux roses et le finaud de l’entourloupe.

1/LA DÉDUCTION

Une carte avec 20 entrées, 20 plats et 15 desserts est impossible à tenir en frais sauf à être les chœurs de l’Armée Rouge en cuisine. Si le taulier-cuisinier est au service en habit de lumière de chef et qu’il vous serine au moins 3 fois pendant le repas que « tout est maison » comme pour se convaincre lui-même, probable qu’il vous prend pour un gogo et que ya entourloupe dans la cambuse. S’il est équipé d’un sourire de contrebande et qu’il vous fait des clins d’œil en vous mettant la main sur l’épaule, c’est le pompon.

2/LA STATISTIQUE

Avec 380 tests-repas par an au compteur et un minimum de mémoire gustative, on sait reconnaitre une blanquette sous-vide qu’on retrouve à l’identique d’un restaurant à un autre, d’un plat fait intégralement sur place. Qui manque éventuellement d’un poil de sel et dont la sauce est non filtrée. Avec un peu d’exercice, le biscuit sous-traité du baba au rhum et la crème anglaise en brick sont encore plus facile à débusquer, les frites de sous-traitance sont assez aisément détectables grâce notamment à leurs formes. Attention: « frites fraiches » ne veut pas dire « épluchées sur place ». Il en existe épluchées et taillées vendues en sac. Toujours dans le registre de la statistique, l’auberge qui ouvre ses portes après 11h du matin est suspicieuse. Ou alors elle ne propose que des grillades. Si en allant au turbin le matin, vous notez que le restaurant est déjà ouvert, il est probable que dans l’arrière-boutique, ça épluche les patates, ça tire les filets de dorades.

3/LA RUSE D’INDIEN

Quand un restaurateur propose un bon pain de boulanger dont la croute chante et non pas une sous-baguette flasque de grande surface du genre nunchaku en caoutchouc. Quand un restaurateur propose le vin au verre ou tout au moins, un bon « pichet » qui ne sert pas à décaper le comptoir en zinc. Quand un restaurateur propose un bon café, surtout quand il sort de chez un torréfacteur rigoureux avec qui il entretient des rapports de confiance et chez qui il paye (un peu) plus cher pour avoir de la qualité. Et pas un de ces cafés aux noms parfois célèbres qu’on n’aurait même pas voulu boire coupé avec de la chicorée sous Brejnev du côté de Vorkouta. Voilà bien la ruse d’indien: entrecouper les infos!

Pain, vin, café. La ruse d’indien, c’est exactement celle de Gilles, mon copain.

Olivier Gros