RESTAURANT TRADITIONNEL

Dédé est un cuisinier traditionnel qui se lève tôt le matin car après chez les fournisseurs, c’est la pagaille, trop de monde et moins le choix dans les produits. Il y serre parfois la pogne virile de quelques confrères réglés à l’identique qui comme lui, tiennent en couple une (toute) petite affaire comme on dit dans le milieu de la tambouille modeste et laborieuse. Il est plutôt doué pour le métier, Dédé. Il a quitté assez tôt les rails de la gastronomie et des palaces où il a appris tant de choses, mais ne regrette pas. L’esprit ne lui plaisait pas: concurrence entre le petit personnel, heures sup’ à rallonge non payées, brimades diverses, esprit de compétition à chaque instant même pendant la courte coupure… La pression quoi.

Vers la fin des années 80, il rencontre Jeannine, en salle à l’époque dans le même établissement. Avec les économies du nourrain, ils ouvrent un petit restaurant pas trop grand comme ça on verra grandir les enfants. Au début c’était difficile car le banquier l’était lui aussi. Les jeunes qui se lancent dans le métier ont bien du courage… Aujourd’hui, on paye tout le monde, y compris Kévin notre apprenti. Il reprendra notre restaurant, peut-être. Faudrait quand même qu’il aille voir ailleurs…

Cette histoire est celle de nombreux « restaurateurs traditionnels » dont l’objectif n’est pas de figurer à la 1ère page du journal local, d’être en photo dans le Gault et Millau ou de chopper une étoile dans le Michelin. Houla! Non! Ils s’en tapent comme de leur 1ère béarnaise! Et regardent l’agitation mondaine autour de leur métier avec grand détachement, de toutes façons, je bosse pour gagner ma vie, pas pour des médailles en chocolat…

« Le Bouche à Oreille » tenait simplement à évoquer l’existence des nombreux « restaurants traditionnels », généralement symbolisés par voire chandeliers dans les pages du « Bouche à Oreille ». Alors que la plupart des guides ou blogs hiérarchisent les tables avec une obsession qui les rassure en effectuant de ridicules classements comme si on pouvait classer des sentiments, « le Bouche à Oreille » évoque des catégories de tables, des styles de moments.

Lou Mazet et sa broufado, Chez Francine et ses moules au feu de bois, La Table verte et son poulet à la moutarde, Aux petits Pavés et son feuilleté aux escargots, Les Bienfaits et son épaule de veau confite, L’Estive et ses tourtons du Champsaur, le Tify et son savarin chaud du pêcheur, le Restaurant des Maures et sa daube de sanglier, Les Tables de la Fontaine et son filet de bœuf au Maroilles, Les Romarins et son suprême de pintade Vallée d’Auge et tant d’autres encore, pieds paquets, tête de veau, langue de bœuf, ravioli au jus de daube, linguines aux palourdes, ballottine de poulet, sauté de porcelet, pavé de sandre rôti et daube de lotte au vin… Et le tout sans brandir le modeux label félon du « fait maison », philosophie de travail qui tombe sous le sens de la normalité. Bon appétit.

Olivier Gros